La fin du XXe siècle a vu l’apparition de plusieurs modes à l’échelle quasi planétaire. Le “bio“ en fait partie. Il procède, comme d’autres modes, de l’influence de plus en plus prégnante de l’écologisme, ce courant de pensée qui a réussi à faire passer la nature devant l’humain.
e choix du mot biologique n’est pas anodin.
Ses adeptes français n’ont pas choisi de traduire simplement le mot anglais organic par organique, ce qui aurait été le choix de la logique. En choisissant le mot biologique, ils ont probablement voulu insister davantage sur la notion de vivant qui existe cependant dans le mot organique, mais parmi d’autres significations.
Bio : le choix des mots
Selon la définition de l’Insee :
« L’agriculture biologique est un mode de production agricole qui exclut l’emploi de substances de synthèse, telles que les pesticides, les médicaments ou les engrais de synthèse, et celle d’organismes génétiquement modifiés. »
L’idée de départ est très séduisante. Malheureusement, elle a été fortement polluée et déviée finalement de son objectif par suite de l’ajout de contraintes multiples sans réel fondement scientifique destinées, elles, à respecter le folklore qui imprègne le raisonnement d’un certain nombre de personnes adeptes de l’écologisme.
Ces contraintes expriment en réalité leur aversion purement intellectuelle pour la technologie en général et pour le génie génétique en particulier. Dans la pratique, on ne voit en effet pas bien pourquoi certaines réactions chimiques seraient interdites, et d’autres non. Il est de fait particulièrement difficile de définir une frontière entre des réactions chimiques dites naturelles et des réactions chimiques dites artificielles.
En réalité, le scientifique honnête qui se lance dans ce type de réflexion convient assez rapidement que cette frontière n’existe tout simplement pas : il n’y a aucune différence entre un produit chimique naturel et un produit chimique artificiel. D’ailleurs, depuis très longtemps, les chimistes qui se sont consacrés à reproduire de nombreux produits naturels en utilisant des méthodes de synthèse de plus en plus élaborées y sont remarquablement parvenus, mettant à bas cette distinction factice.
L’ouverture au hasard d’une des bibles du chimiste comme The Merck Index nous apprend, par exemple, qu’un produit comme la quinine, médicament naturel contre le paludisme, extrait de l’écorce du quinquina, a été synthétisée pour la première fois en 1944 à partir de molécules elles-mêmes totalement synthétiques (procédé Woodward–Doering) à partir de la 7-hydroxyisoquinoline, elle-même obtenue à partir de bases dérivées d’hydrocarbures fossiles. La réussite de ce type de synthèse montre, s’il en était encore besoin, que la matière issue du vivant ne possède pas de propriété intrinsèque qui la distinguerait de la matière synthétique.
En réalité, cette différence n’existe que dans la tête de l’adepte du « naturel à tout prix ».
Cette préférence donnée à tout ce qui vient de mère nature qui serait, dit-on, si généreuse, malgré les nombreux contre-exemples qui fourmillent mais que notre adepte ne saurait voir, est formidablement exploitée par la publicité : tout ce qui peut enduire toutes les parties du corps humain y compris les plus intimes se doit d’être le plus proche possible des 100 % naturels si l’on veut pouvoir le vendre cher. L’acheteur doit être convaincu que ce fameux degré de naturel est de la plus haute importance. Même si la partie naturelle était par exemple composée d’extrait d’amanite phalloïde, de ciguë ou de digitale.
Des règles déformées pour les besoins de la cause
Les règles de « provenance naturelle » ne sont cependant pas si rigides qu’on pourrait le croire, et sont même, à l’occasion, allègrement transgressées lorsqu’il s’agit d’autoriser un pesticide indispensable à la culture biologique en France, mais qui sort malencontreusement de la doctrine du « tout d’origine naturelle » : je veux parler de la bouillie bordelaise.
La bouillie bordelaise qui est utilisée pour traiter la vigne, mais aussi de très nombreux légumes ou fruits contre les maladies cryptogamiques, est indispensable dans les régions où le mildiou, l’oïdium, la tavelure etc. attaquent et détruisent la vigne, la tomate, la fraise, le rosier ou la pomme de terre, aidés par des conditions climatiques favorables au développement de ces parasites. Cette bouillie est très simplement fabriquée en attaquant le cuivre par de l’acide sulfurique (bien chimique) et en neutralisant le sulfate de cuivre obtenu par de la chaux (bien chimique elle aussi).
Profitant du fait que ce produit est ancien (il a été inventé au XIXe siècle) et aussi de l’inculture en chimie de la plupart des adeptes qui ne savent pas exactement ce que minéral signifie, la bouillie bordelaise a été déclarée acceptable en agriculture biologique parce qu’elle ne contient que du sulfate de cuivre déclaré lui-même comme naturel, alors que sa fabrication est tout ce qu’il y a de plus synthétique, comme je viens de l’écrire, et que la provenance de ses précurseurs est minérale comme celle de tous les produits présents sur cette Terre.
Cette souplesse d’adaptation devrait normalement démontrer aux adeptes que les règles n’existent en agriculture biologique que pour être habilement contournées. En réalité, elles montrent surtout que la clôture existant autour du bio est fermement établie dans la tête de ceux qui y croient, et qu’aucun argument logique ne saurait la démanteler.
Les OGM et le Diable
Une autre grande distinction sépare l’agriculture biologique de l’agriculture conventionnelle : en bio, les OGM sont strictement prohibés. Les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) qu’on appelle PGM (Plantes Génétiquement Modifiées) lorsqu’il s’agit de plantes, ont été soumis à l’implantation de certains gènes spécifiques. Ces modifications sont destinées à procurer à la plante modifiée des propriétés positives : par exemple une meilleure résistance à la sécheresse ou aux maladies, une croissance plus rapide, et, d’une façon plus générale l’acquisition d’une propriété intéressante qui appartient naturellement à une autre espèce.
Cette acquisition de propriétés nouvelles ne peut qu’apparaitre bénéfique pour la plupart des personnes. Cependant, le mode d’acquisition a posé un problème à certaines d’entre elles qui y ont étrangement vu l’accès à un monde religieusement interdit, parce que touchant à l’intimité de la vie. Cette vision surprenante, procédant essentiellement du fanatisme religieux assez primitif que l’on croyait touchant seulement, depuis les Lumières, des individus fortement arriérés, s’est néanmoins répandue, comme c’est d’ailleurs souvent le cas, dans un milieu intellectuel particulier, et elle est devenue celle de certains fondateurs du puissant mouvement Greenpeace. Ce dernier mouvement, fort actif dans certains pays, a ensuite réussi à faire interdire les OGM en Europe, aidé en cela par les Grünen allemands, grands influenceurs de la politique européenne.
Les anti-OGM, célèbres pour leurs actions contre les semis expérimentaux de PGM craignent l’avenir : ils redoutent en effet que ces produits, quelque part issus de la main du Diable, ne parviennent un jour à empoisonner et même à exterminer le genre humain. Ils constituent une résurgence des fanatiques qui ont brûlé les sorcières en place publique au motif qu’elles faisaient commerce avec le Diable…
Et l’ensemble des Européens ont été convaincus par leurs arguments, mais surtout, probablement par la publicité imbécile de nombreuses marques, de ne jamais consommer d’OGM, ignorant, par là même, l’expérience positive de centaines de millions d’humains pendant des dizaines d’années qui n’ont jamais éprouvé le moindre effet négatif en consommant des OGM ou leurs dérivés.
L’agriculture bio dans la vraie vie
Mais revenons au XXIe siècle.
La distinction, solide parce que surtout mentale, entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle permet de pratiquer des prix plus rémunérateurs au niveau des consommateurs. Les grands distributeurs comme Carrefour, Leclerc ou Auchan et les distributeurs spécialisés comme Biocoop ne s’y sont pas trompés. Et le marché du bio s’est accru pendant des années en France, s’appuyant sur l’idée simple : « c’est naturel, donc c’est bon », idée doublement fausse.
En effet :
- L’amanite phalloïde, la ciguë ou la digitale déjà citées, sont tout ce qu’il y a de plus naturelles et sont cependant très mauvaises pour la santé humaine : on meurt de les avoir consommées.
- L’agriculture biologique utilise des pesticides comme le sulfate de cuivre qui ne sont, eux, pas du tout naturels, en dépit des affirmations des marchands de bio.
Ajoutons que le sulfate de cuivre a la fâcheuse propriété d’imprégner presque définitivement le sol qui devient toxique pour toute une série d’animaux dont le lombric (ver de terre), au point que les anciennes parcelles de vigne peuvent devenir impropres à toute culture.
L’agriculture biologique n’a donc finalement aucune justification du point de vue de la consommation. Il n’empêche qu’au niveau européen, elle peut se prévaloir de sérieux défenseurs qui la placent en priorité, et obligent pratiquement de nombreux agriculteurs à la choisir alors qu’il n’y a absolument aucune raison, comme on vient de le voir, de la préférer à l’agriculture conventionnelle. De plus, comparée à celle-ci, elle conduit à des rendements nettement inférieurs. Sa généralisation, qui n’est heureusement pas pour aujourd’hui ni probablement pour demain, conduirait à des problèmes difficilement solubles. L’exemple récent du Sri Lanka le montre sans ambiguïté.
Une histoire qu’on voudrait bien oublier
Cette mode, qui a la préférence de beaucoup d’influenceurs parmi les médias, peut aussi conduire à des catastrophes. J’en prendrai un seul exemple :
En 2011, l’apparition d’une intoxication grave à l’Escherichia Coli en Europe a fait d’abord suspecter des concombres originaires d’Espagne. Ceux-ci ont cependant été rapidement mis hors de cause, et c’est finalement une ferme biologique située à Bienenbüttel en Allemagne qui a été désignée comme étant à l’origine de la contamination, par des graines germées. Le nombre de cas d’intoxication a été de plus de 4000 dans 12 pays européens et le nombre de décès de 53.
La réaction des médias au moment de cette intoxication a révélé l’embarras de ceux-ci car il s’agissait d’un cas grave (plus de 50 morts) et d’une ferme biologique, qui ne pouvait normalement que produire des aliments sains parce que biologiques dans l’esprit du public. En réalité, la simple utilisation d’un bon biocide évitant le développement d’espèces potentiellement létales aurait tout simplement arrêté net la contamination et évité 53 morts. Une paille ! Malheureusement, une règle qu’on peut qualifier de stupide empêchait bêtement l’utilisation d’un biocide synthétique à la ferme biologique de Bienenbüttel.
Que n’aurait-on pas entendu si les 53 décès avaient été causés par la consommation de denrées alimentaires produites dans une ferme conventionnelle ! À coup sûr, la gent journalistique aurait suggéré que c’était parce que la ferme était coupable de n’être pas biologique ! Pire encore s’il s’était agi de légumes OGM ! Heureusement, la loi européenne a banni ces produits du Diable…
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