Le budget du ministère de la Santé pourrait être dépensé autrement. Mais il faudrait pour cela repenser complètement le modèle jacobin actuel, ce qui ne sera malheureusement mais sûrement pas le cas.
e problème de la santé est avant tout un problème d’organisation. Mais compte tenu de la méthode imposée et des acteurs de la réforme, la véritable solution qui consisterait à réorganiser le système en transférant l’emploi des ressources de l’administratif vers le médical, ne sera probablement même pas envisagée.
Le Ségur de la santé est parti sur le principe qu’il fallait impérativement augmenter les dépenses de santé afin de donner satisfaction aux revendications des soignants qui se battent effectivement depuis plus d’un an pour qu’on améliore leur système.
Le président Macron leur a d’ailleurs promis qu’un gros effort allait être fait dans ce sens. La résolution des problèmes en injectant l’argent des contribuables est tellement classique que certains croient que c’est la seule solution.
En réalité, l’argent en question et celui du budget du ministère de la Santé pourrait aussi être dépensés autrement. Mais il faudrait pour cela repenser complètement le modèle jacobin actuel ce qui ne sera malheureusement mais sûrement pas le cas.
Une comparaison intra-européenne
Selon les statistiques de l’OCDE sur la santé, la France et l’Allemagne ont consacré chacune 11,2 % de leur PIB aux dépenses de santé. Une conclusion rapide pourrait donc être que les moyens consacrés à la santé sont équivalents dans les deux pays. Pourtant, les évènement récents liés au coronavirus ont montré que l’Allemagne s’était sortie nettement mieux et plus rapidement de la pandémie que ne l’a fait la France.
Cette simple constatation montre, si on admet que les soignants français ne sont pas plus stupides que leurs collègues allemands, que les bons résultats ne sont pas seulement une question de budget.
Il faut donc chercher ailleurs les raisons de la meilleure efficacité germanique. Ce n’est pas évident, parce que les explications données dans les diverses publications trouvées sur le Net démontrent tout et son contraire, en fonction de la couleur politique de l’auteur d’icelles.
Une des explications est toute simple et devrait emporter l’unanimité : si on rapporte les dépenses de santé des deux pays non pas au PIB, mais au nombre d’habitants, on constate qu’en fait, l’Allemagne consacre, par habitant, davantage de moyens à la santé que la France (environ 15 % de plus).
En raison de son lent déclin relatif, la France se trouve aujourd’hui avec un PIB nettement inférieur à celui de l’Allemagne qui a pourtant eu à supporter les énormes frais du rattachement de sa partie est, alors que le PIB des deux pays était pratiquement le même en 2000.
Si maintenant on regarde l’évolution des PIB de quelques pays européens comparables à la France depuis l’an 2000 :
Le constat est simple, la pente de la courbe du PIB français est nettement inférieure à celle des quatre champions (Danemark, Suède, Pays-Bas et Allemagne) et rejoint celle des lanternes rouges (Italie et Espagne) de notre sélection.
Croissance des PIB (pente des courbes ci-dessus)
Dans le domaine de la santé, la conséquence est incontestable : mis en face d’une croissance faible qui détermine une ressource fiscale basse, les décideurs français compriment tous les budgets, dont celui de la santé. Au bout de 19 ans, le résultat est désastreux mais logique. L’ENA a encore frappé.
Pour en revenir à la comparaison France-Allemagne pour 1000 habitants : la France dispose de 6 lits d’hôpital pour 1000 habitants, l’Allemagne 8. Pour les soins intensifs, France : 3,09 lits pour 1000 habitants, Allemagne : 6,02.
Cette dernière différence explique la stratégie suivie par chacun des deux pays au moment du pic de la pandémie de Covid-19. Le confinement prolongé semble être finalement l’arme ultime contre le coronavirus des pays qui sont restés relativement pauvres (Espagne, Italie) ou qui sont sur le chemin de le devenir comme la France, alors que celui-ci a été beaucoup plus léger dans les pays plus riches (Danemark, Pays-Bas, Suède, Allemagne).
L’hôpital est devenu un organisme administratif et les tâches médicales des tâches administratives
Selon l’IREF :
« Dans les hôpitaux français, 405 600 personnes (ETP) œuvrent à des tâches autres que médicales, soit 54 % de plus qu’en Allemagne, dont la population est pourtant près de 25 % supérieure à celle de la France ».
Cette différence pèse lourd dans la balance de la comparaison entre États.
De plus, selon The Conversation :
« Environ 20 % des personnels administratifs des hôpitaux français sont en fait des personnels soignants détachés à plein temps à des travaux administratifs, selon les recherches de l’auteur basées sur un échantillon d’une trentaine d’établissements hospitaliers – chose inconnue en Allemagne – les coûts généraux et administratifs de l’hôpital français représenteraient un peu plus de la moitié des services rendus ».
Ajoutons que les médecins hospitaliers se plaignent à juste titre qu’une partie de plus en plus grande de leur temps est occupée à des tâches administratives. Or, s’il est tout à fait justifié que le chirurgien soit obligé de passer un certain temps à rédiger son compte rendu opératoire, il apparaît tout aussi justifié que la tâche consistant à informer les administrations diverses de son travail soit confiée à une personne efficacement formée qui le fera probablement mieux et plus rapidement que lui, tout en lui rendant le temps qu’il y aurait passé.
Cette mauvaise affectation du temps médical est probablement une des causes du coût excessif de la santé en France par rapport à l’Allemagne.
Les tâches purement administratives confiées au personnel non soignant pourraient probablement être simplifiées et rendues plus rapides en étant beaucoup plus largement informatisées.
Cependant, cette simplification rendrait à coup sûr inutile une partie importante du personnel administratif, ce qui forcerait celui-ci à changer d’établissement et peut-être même de ville de résidence. Cette constatation explique le réticence (publique ou cachée) du personnel impliqué et devient une cause supplémentaire de dysfonctionnement.
Le revenu des acteurs de la santé
Si l’on en croit ce blog, le prix d’une consultation médicale était de 1,28 euro (8,41 francs) en 1960. Il est aujourd’hui de 25 euros, soit dans le rapport de 19,5 avec celui de 1960. Par ailleurs, l’inflation a évolué dans le rapport de 11,3 entre 1960 et 2020. On peut donc dire que le revenu du médecin a été divisé par
19,5 / 11, 3 = 1,72
Dit autrement, la consultation médicale devrait aujourd’hui être à :
25 x 1,72 = 43 euros.
Ce montant actuel, obtenu par le lent travail de sape des politiques de droite comme de gauche au pouvoir depuis 1960 explique une autre partie de l’état de délabrement de la santé en France à l’heure actuelle. La paupérisation relative des médecins a amené, par exemple, l’apparition de nombreux déserts médicaux et explique pourquoi les nouveaux médecins sortant de l’Université ne veulent plus s’installer qu’en ville et dans des cabinets où ils peuvent partager leurs frais fixes avec d’autres acteurs médicaux.
Les acteurs médicaux comme par exemple les infirmiers, les kinésithérapeutes, les sages-femmes mais aussi les pharmaciens, car les politiques ont aussi forcé vers le bas autant que faire se peut le prix des médicaments en même temps que tous les tarifs dits conventionnés se sont étiolés sous l’influence des efforts de compression budgétaire des gouvernements successifs.
On a réussi ainsi à contrôler (à quelques milliards près), les dépenses, mais on a détruit petit à petit l’édifice de la santé, par manque de vision à long terme.
Remarquons au passage que malgré cette évidence, les constructivistes dont on trouve de nombreux représentants à gauche et pas seulement chez les politiques, voudraient encore forcer les jeunes médecins à s’installer dans les déserts médicaux, avec les résultats évidement catastrophiques que l’on pressent.
La politisation de la gestion des hôpitaux force le maintien de petits établissements
En 2015, l’Allemagne disposait de 2 084 établissements de santé, tandis que la France en comptait 2 751 soit 30 % de plus ; et la situation n’a probablement pas évolué beaucoup depuis.
La différence est encore plus flagrante si on rapporte ce nombre à la population : 42 établissements par million d’habitants en France contre 25 en Allemagne, soit près du double pour la France ! Cette différence provient essentiellement du nombre excessif de petits établissements chez nous.
Or, cela présente de nombreux inconvénients, allant de coûts supplémentaires constitués par des frais fixes non compressibles comme l’amortissement des gros appareils très coûteux et mal utilisés, aux problèmes de sécurité liés au faible nombre d’actes chirurgicaux à haute valeur technique.
Mais la fermeture de ces établissements amène souvent des problèmes dits sociaux (quelquefois justifiés d’ailleurs) dont la France a le secret, problèmes surtout liés au caractère indocile du Français.
Les établissements hospitaliers sont souvent gérés par un conseil d’administration présidé par le maire de la ville ou par l’un de ses adjoints, ce qui rend difficile, voire très difficile à impossible la fermeture des petits établissements. Le court-termisme est de règle dans ce cas.
Le politique renvoie sur les générations futures le poids des décisions non prises au nom de la préservation d’emplois inutiles, voire dangereux et la destruction créatrice des emplois n’est pas à l’ordre du jour…
Trop d’agences étatiques
Le ministère de la Santé français gère un nombre faramineux d’agences de toutes sortes : 1 440 agences, 450 000 personnes, 50 milliards d’euros ! Ces agences se doublonnent, se contredisent, bloquent le fonctionnement du système et coûtent fort cher.
Elles ont en général été créées à l’occasion d’un besoin qui apparaissait comme vital à une époque, parce que grossi par les médias, ou parce que le politique qui les créait voulait laisser son nom dans l’Histoire.
Le temps passant, ce besoin a souvent disparu mais l’agence reste, avec son bataillon inévitable de fonctionnaires. Et le démantèlement d’un tel organisme fait forcément des victimes (non pas laissées pour compte car en France le métier de fonctionnaire se pratique à vie) qu’il faut recaser quelque part.
Laissez-moi exprimer un rêve : si le démontage d’une agence superflue avait pour conséquence, comme cela se pratique dans la plupart des pays du monde développé, le licenciement des fonctionnaires, gageons que ceux-ci auraient avant tout pour objectif de justifier l’existence de l’agence en lui faisant faire des choses intelligentes et rentables.
Et, cerise sur le gâteau, si l’agence était malgré tout condamnée à être fermée, on saurait bien récupérer les fonctionnaires qui se seraient distingués dans les actions de l’agence. Mais tout cela n’est qu’un rêve pieux…
En attendant, ces innombrables organismes finissent par coûter un pognon de dingue et les moyens inutilement utilisés pour leur fonctionnement seraient bien mieux utilisés en infirmières ou en aides-soignantes.
Mais alors, que faire ?
Il est fondamental de revaloriser rapidement les revenus de la profession médicale et de toutes les professions qui s’y rattachent. Cela est à la fois important et urgent. En ce qui concerne le financement de cette revalorisation, les Français devraient comprendre que la santé a un prix et que celui-ci a augmenté et augmente plus rapidement que les salaires.
Il serait donc normal que les prélèvements sociaux correspondants soient eux aussi revalorisés fortement et qu’ils suivent automatiquement le coût de la santé. Afin de conserver un fragile équilibre dans la feuille de paye, il faudrait compenser cette augmentation de charges par la diminution d’autres charges (mais ceci est un autre problème).
Malheureusement, c’est une décision courageuse qui ne sera pas prise car les forces syndicales peu représentatives mais douées d’un pouvoir de nuisance important s’y opposeront, la CFDT en tête, d’ailleurs pour des raisons sans rapport avec le sujet.
Cependant, cette revalorisation ne réglera pas le problème aigu de la mauvaise organisation du système de santé. L’idéal serait de supprimer purement et simplement le lien de vassalité qui lie le ministère et les établissements de santé, en rendant leur autonomie à ces derniers.
Mais ce serait une révolution incompatible avec le modèle social que les Français ont dans la tête, qui présuppose que l’État étant omniscient doit donc être présent partout et surtout pratiquer une égalité à toute épreuve jusqu’au nombre d’écouvillons par établissement.
Il faudrait aussi se débarrasser une bonne fois pour toutes du carcan politico-administratif qu’on appelle « les 35 heures » en revenant à une durée hebdomadaire identique à celles des autres pays européens dont le PIB est comparable à celui de la France.
Bien que non énoncé à ma connaissance, il existe en effet une relation quasi inverse entre le PIB et la durée réelle du travail hebdomadaire. En dessous d’une certaine durée qu’on peut situer autour de 38 heures, le pays décroche économiquement par rapport à ses concurrents mondiaux, ce qui se traduit par une baisse relative du PIB. C’est ce qu’on observe actuellement pour la France, et c’est la conséquence du fait que contrairement aux espérances des promoteurs de cette loi, les autres pays n’ont pas imité la France au moment de l’établissement des 35 heures.
Le pragmatisme aurait dû jouer à ce constat, et les 35 heures auraient dûes être retirées comme une belle idée mais qui ne correspondait pas à une amélioration du rendement du travail des salariés. Hélas, par peur des réaction syndicales, les politiques n’ont jamais eu le courage de le faire. Et la France en paye aujourd’hui les lourdes conséquences.
Fixer cette durée par la loi est d’ailleurs d’un dirigisme excessif et il serait bien préférable de ne pas fixer autre chose qu’une durée hebdomadaire maximale du travail qui pourrait se situer autour de 60 heures, comme dans un certain nombre de pays « raisonnables ». J’entends déjà la CGT hurler comme si on imposait cette durée à tous les salariés…
La domination de l’administration sur l’ensemble du travail médical aussi bien dans le domaine public (hôpitaux) que chez les praticiens libéraux, devrait être desserrée et le travail administratif simplifié. La numérisation peut sans doute être le facteur fondamental pour réussir cette révolution.
Cependant, il serait absurde de lancer une nouvelle « étude » informatique qui aboutirait très certainement à un nouveau « monstre » du genre Louvois, Qwant, etc. Il faut savoir qu’il existe d’excellents systèmes qui ont fait leur preuve à travers le monde. Savoir acheter un système au lieu de vouloir à tout prix réinventer l’eau chaude serait une preuve de pragmatisme qui semble ne pas exister dans nos têtes pensantes.
Oui, je sais, la France est (était ?) une grande puissance et doit pouvoir être capable de mettre au point tous les systèmes informatiques dont son administration pourrait avoir besoin. Mais pour ma part, je pense que pour une fois faire montre d’une certaine modestie pourrait, sait-on jamais, faire faire un certain nombre d’économies au contribuable français qui en a bien besoin.
Toutes ces décisions devraient être prises en oubliant peut-être, (du moins temporairement), le temps de mettre en place une organisation qui fonctionne enfin, le principe d’égalité, qui fait partie des ingrédients obligatoires de la soupe politique actuelle, en le remplaçant par le principe de pragmatisme, au goût moins à la mode, mais dont l’efficacité à faire passer le bouillon a été largement prouvée.
Ce serait dur, très dur, mais on pourrait toujours essayer.
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