Alors que le GIEC prévoit des précipitations plus abondantes mais mal réparties sur l’année en France, la multiplication des mégabassines apparaît comme une solution clé pour faire face à la sécheresse.
es dernières prévisions du GIEC indiquent que les précipitations sur la France seront globalement plus abondantes, mais que cette abondance se situera en dehors des périodes de sécheresse.
Il sera donc nécessaire de stocker de l’eau pour prévenir ces dernières, et les mégabassines doivent donc être multipliées. Par ailleurs, il existe d’autres méthodes que la sobriété pour prévenir les pénuries.
Les « mégabassines », ou retenues de substitution
Le nom « mégabassines » a été adopté par les médias et par le public : il est simple et évocateur.
Tout pour assurer le succès de l’opération de Sainte Soline qui reste cependant une tentative de faire admettre par la force des convictions que ne partage pas la majorité de la population, procédé caractéristique de la période actuelle. Car les manifestations violentes autour de ces très pacifiques façons de réserver de l’eau d’une saison sur l’autre ne sont rien d’autre que l’expression de la volonté de quelques-uns d’imposer à la majorité des autres la mise en œuvre de leur vision de la société : les fermes industrielles qui permettent de produire de la nourriture à bas coût sont déclarées mauvaises, et l’agriculture dite paysanne est déclarée bonne. Et on est tenu d’acquiescer, sous peine de violence.
On a constaté d’ailleurs que la violence paye lorsque le pays est gouverné par la couardise : voir l’affaire de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, où la loi et la volonté populaire locale exprimée par les résultats d’un référendum local ont été bafouées..
Mais restons, pour le moment, dans le domaine scientifique…
Nappe phréatique
Les nappes d’eau qui imprègnent couramment le sol s’appellent « phréatiques », du mot grec φρέαρ (le puits) parce que c’est d’elles que provient l’eau des puits. Les sols sont en effet plus ou moins poreux, c’est-à-dire qu’ils comportent des vides souvent remplis d’eau en provenance des précipitations et/ou en communication avec un cours d’eau.
Cependant, les nappes phréatiques ne doivent pas être considérées comme des lacs souterrains. Tout d’abord, leur niveau n’est pas uniforme. Il est justement conditionné entre autres par ce déplacement. La mesure de leur niveau local s’appelle la piézométrie. Ensuite, les nappes ne restent pas fixes. Leur niveau monte ou descend en fonction par exemple de la pluviométrie.
Les nappes se déplacent
Plus contre-intuitif : les nappes se déplacent à une vitesse qui dépend de la perméabilité du terrain, et selon la loi de Darcy qui associe les différences locales de pression qu’expriment les piézomètres et la perméabilité du sol.
Les piézomètres sont des sondes qui mesurent la hauteur de la nappe exprimée comme une pression. Ce peut être de simple tubes poreux verticaux où l’eau monte comme dans un puits, dans lesquels on peut mesurer la hauteur d’eau par pigeage ou au moyen d’une sonde (limnimètre). D’autres modèles plus sophistiqués sont des sondes à corde vibrante dont la fréquence de vibration est liée à la pression.
Figure 1 : piézomètres permettant de connaître la forme de la nappe phréatique au voisinage d’une rivière
Au voisinage d’un cours d’eau, la nappe se déplace dans la même direction que le cours d’eau, mais à une vitesse beaucoup plus lente que le courant visible.
Les nappes s’évaporent !
Un des grands arguments de Greenpeace contre les mégabassines est le suivant : l’eau étant rare, il ne faut pas la gaspiller.
Greenpeace sait très bien que les principaux usages de l’eau ne la « consomment » pas véritablement, sauf lorsque l’eau s’évapore. Or, justement, l’eau des bassines s’évapore, et le professeur Christian Amblard n’hésite pas à affirmer, sans aucune référence, qu’elle s’évapore des bassines dans des proportions de 20 à 60 %.
Évidemment, bien que ce ne soit pas dit, si l’eau reste dans les nappes, il est sous-entendu qu’elle ne s’évapore pas… Sauf que cette affirmation est fausse. En effet, l’eau des nappes est naturellement pompée en permanence par les racines des plantes et surtout des arbres de surface. Elle monte dans la plante, et vient s’évaporer par de multiples et minuscules ouvertures sur les feuilles, provoquant un phénomène de refroidissement. Ces ouvertures appelées stomates possèdent la propriété de s’ouvrir ou de se fermer en fonction des conditions locales (humidité relative et température) ce qui constitue un remarquable système de régulation. Ce phénomène de transport de l’eau est l’évapotranspiration.
Les études sur le sujet des quantités d’eau évaporées par évapotranspiration sont peu nombreuses. Elles indiquent, cependant, que la même surface de forêt de chênes ou de prairie envoie dans l’atmosphère au moins autant d’eau qu’une surface d’étang de faible profondeur, elle-même tout à fait comparable du point de vue de l’évaporation, aux bassines déjà citées (référence).
L’étude en référence se base sur des mesures expérimentales réelles au lieu d’utiliser des formules théoriques. Ses résultats indiquent qu’à surface identique, les nappes phréatiques perdent à peu près autant d’eau par évapotranspiration que ne le feraient des réservoirs d’eau du type mégabassines de surface identique.
L’argument du professeur Amblard et de Greenpeace ne tient donc absolument pas : en effet, la surface des bassines est, bien sûr, largement inférieure à la surface totale du terrain, si bien que l’eau est bien mieux protégée contre l’évaporation si elle est stockée dans des bassines que si elle était laissée dans les nappes, ce qui est très contre-intuitif…
Bassins versants et sous-bassins
Un bassin versant est une zone géographique de collecte des eaux de surface par un cours d’eau et ses affluents.
Chaque bassin versant peut être subdivisé en un certain nombre de bassins de niveau inférieur (parfois appelés « sous-bassins versants ») correspondant à la surface d’alimentation de chacun des affluents se jetant dans le cours d’eau principal.
La France est divisée en six principaux bassins versants, (un par fleuve, plus le bassin Artois-Picardie), eux-mêmes subdivisés en une série de sous-bassins correspondant à chacun des affluents et sous-affluents.
Remarquons que l’eau des fleuves qui débouchent sur la mer est de l’eau excédentaire qui n’est pas utilisée. Ce simple fait démontre qu’en France, l’eau douce est globalement largement en excédent. Le BRGM évalue à 100 milliards de m3 en France la quantité d’eau qui s’écoule vers la mer, et à 2000 milliards de m3 la quantité d’eau totale stockée dans les nappes phréatiques métropolitaines. La mise en regard de ces deux chiffres indique que le phénomène d’évaporation des nappes joue un rôle important dans l’évolution du niveau annuel des nappes, ce qui constitue un autre argument fort pour la construction de stockages d’eau intersaisonniers (mégabassines).
Le réchauffement entraînera une augmentation des précipitations et des sécheresses
La lecture du « résumé pour décideurs » du sixième rapport du GIEC (AR6) ne donne qu’une idée très lointaine des trésors d’informations qu’il a collectées.
En fait, en attendant la publication du véritable rapport (toujours pas publié le 23 juin 2023) Il faut lire ce que le GIEC appelle le Longer Report et ouvrir l’atlas interactif inclus dans le rapport pour connaître les prévisions climatiques concernant la France.
Le GIEC a découpé le globe terrestre en zones dont la destinée climatique est considérée comme homogène. La zone qui comprend la France est constituée par un quadrilatère appelé Western and Central Europe qui couvre la métropole à l’exception de l’extrême sud ainsi que les ex pays de l’Est et les pays baltes jusqu’à la mer Noire au sud-est et la Biélorussie au nord-est (Voir la figure 2).
Figure 2 : Zone Western and Central Europe de l’Atlas Interactif (AR6)
À l’intérieur de cette zone, le GIEC considère que le climat va évoluer de façon homogène en ce qui concerne, entre autres, les températures et les précipitations.
La figure 3 est un diagramme tiré de l’atlas interactif de l’AR6 montrant l’évolution des précipitations dans la zone concernée depuis 1950 jusqu’à 2100, et leur distribution au cours de l’année :
Figure 3 : Évolution des précipitations jusqu’en 2100 (AR6 2023 du GIEC)
La traînée marron à droite du diagramme indique qu’à partir des années 2020 il se produira une diminution importante des précipitations en été, phénomène dont on observe d’ailleurs déjà les prémices. De même, les traînées bleues de droite indiquent, si on les compare à la partie gauche du diagramme qui correspond à la période déjà écoulée depuis 1950, que les précipitations augmenteront pendant les mois d’hiver.
D’ailleurs, dans ses scénarios RCP, le GIEC prévoit une augmentation des précipitations de 1 à 3 % par degré pour les RCP 4.5, RCP 6 et RCP 8.5, et de 0,5 à 4 % par degré pour le RCP 2.6. L’augmentation des précipitations annuelles et des sécheresses en été imposera donc, dans certaines régions, un mode nouveau de gestion de l’eau. Si on veut faire face aux sécheresses prévues, il faudra en effet mettre en conserve l’eau excédentaire qui tombera à certaines périodes pour pouvoir l’utiliser pendant les périodes sèches.
Les politiques et la pénurie
Il est frappant de constater que les politiques ont à peu près tous la réaction qui consiste à gérer la pénurie, comme si celle-ci était un phénomène inexorable.
Il est vrai que le manque d’imagination est une caractéristique générale de nos politiques qui ont beaucoup de difficultés à concevoir une évolution qui conduirait à un futur différent de ce qu’ils voient autour d’eux.
De plus, la pénurie constitue pour eux une levier de pouvoir extraordinairement efficace, car il utilise le sentiment très puissant chez le citoyen de la peur du manque. C’est pour cette raison que les politiques ont une tendance chronique à l’utiliser, et même à l’introduire là où elle n’existe pas : le problème de l’eau en France, récemment concrétisé par le discours du président à Savines-le-Lac en est un exemple. En fait, comme nous l’avons vu plus haut à propos du débit des fleuves, la quantité d’eau disponible en France est globalement très largement supérieure aux besoins. Cependant, les excédents de certaines zones ne sont pas forcément disponibles pour les zones qui manquent d’eau. Par ailleurs, les besoins ne coïncident pas forcément en temps avec la ressource. Une situation de pénurie peut donc exister dans certaines zones et à certaines périodes.
La bonne solution à ce problème n’est peut-être pas de réduire les consommations d’eau là où c’est possible, réaction caractéristique de la gestion « par la pénurie », (et non pas « de la pénurie »). Il serait certainement plus efficace d’examiner le présent et l’avenir avec davantage d’acuité (gouverner, c’est prévoir) afin de détecter où se trouvent et où se trouveront effectivement la pénurie d’une part, et l’excès d’autre part, et ensuite de mettre en œuvre les technologies disponibles qui ne manquent pas, la principale utilisant, pour simplifier, la pompe, le tuyau et le réservoir.
Évidemment, dans une situation qui évolue comme la situation actuelle, il n’est pas exclu qu’une certaine sobriété soit temporairement nécessaire dans des cas bien précis. Mais cela ne peut être que momentané, et la date de la fin de la sobriété devrait, au minimum, être indiquée clairement. Il me paraît essentiel que le travail des Français qui nous a amené l’abondance, soit respecté, afin que cette dernière revienne aussitôt que possible. Malheureusement, ce retour n’a jamais été indiqué dans le discours du président. C’est à croire que la situation de pénurie est prévue pour être durable.
Une autre constatation doit être faite : le signal prix, qui devrait normalement réguler le flux de la consommation d’eau, est refusé à la fois par un nombre important de consommateurs, et aussi par les autorités. Le refus de ce signal entraîne le fait que l’usage de l’eau achetée, qui devrait normalement appartenir à 100 % à l’acheteur, se trouve soumis à des règles arbitraires (ne pas remplir sa piscine, ne pas laver sa voiture, ne pas arroser sa pelouse etc.) qui restreignent finalement la propriété de l’eau. En fait, ce produit n’appartient pas entièrement au propriétaire qui l’a pourtant acheté et payé, et l’État en conserve au moins une partie. Il tombe sous le sens que cela constitue une atteinte grave au droit de propriété, et donc à la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen à laquelle, pourtant, notre Constitution fait amplement référence.
Si ce signal était respecté, on peut imaginer que les usages excessifs de l’eau seraient freinés, et inversement, que la possibilité de réaliser un profit en amenant l’eau aux utilisateurs qui en ont besoin ouvrirait la voie à de nombreux et nouveaux projets d’adduction d’eau. Au contraire, la sobriété imposée tue ces projets qui auraient amené la création d’emplois et l’abondance.
Signalons cependant une timide tentative de la part du gouvernement, qui souhaiterait remettre à sa place cet important signal, mais qui est obligé (nous sommes en France) de consulter le ban et l’arrière-ban des notables, ce qui constitue à peu près sûrement une garantie que ce signal ne passera pas.
Une gestion plus rationnelle
La comparaison des documents officiels avec la prospective du GIEC est édifiante : force est de constater qu’il existe un grand malentendu au sens littéral.
En effet, le message du GIEC pour la zone incluant la France est, comme l’examen du futur de la zone incluant le France le montre clairement :
« 1) La pluviométrie va augmenter de quelques pourcents. 2) Malheureusement, ce sera en automne et en hiver. 3) Au contraire, elle sera plus faible en été ».
Constatons que vu les réactions lues dans les documents et les discours officiels, le message reçu occulte complètement le point 2. En effet, il n’est fait mention dans ces derniers que de sobriété et de diminution des consommations, alors que la ressource existe. C’est la pente naturelle des politiques vers la gestion par la pénurie.
Si le message avait été saisi sur toute sa longueur, le discours rationnel officiel devrait être :
« La ressource existe, mais :
- elle n’est pas située forcément là où se trouve le besoin ;
- elle n’existe pas forcément à la période de l’année où elle est nécessaire ».
Pour résoudre les problèmes posés par les points 1 et 2 les écolos nous sortiront probablement le refrain connu :la meilleure eau est celle qui n’est pas consommée. L’ingénieur que je reste préfère dire : il faut construire des adductions entre les lieux où existe la ressource et les lieux où existe le besoin. Les Romains avaient déjà trouvé la solution et ils ont construit de gigantesques aqueducs avec leurs moyens. Imitons-les avec des moyens au moins cent fois plus efficaces.
Pour le point 2, la réponse est évidemment, et malgré l’opposition sans argument réel des manifestants de Sainte Soline : il faut construire des stockages d’eau intersaisons.
Le confort et la sécurité que nous avons la chance de connaître aujourd’hui sont tellement naturels que certains ont tendance à oublier qu’il sont exclusivement dûs, en France et ailleurs, au travail de ceux qui ont conçu et fabriqué l’environnement technique dans lequel ils baignent aujourd’hui. Mais il est devenu de bon ton pour certains de cracher tous les jours dans la soupe. Pourtant, si on supprimait brutalement cet environnement, il est probable qu’il serait difficile pour une partie importante de la population, d’atteindre l’hiver. Cette constatation devrait faire réfléchir les cracheurs.
Conclusion
Le progrès des civilisations antérieures à la nôtre a souvent été concrétisé par le fait de faciliter l’accès à l’eau, qui s’est manifesté par la construction d’ouvrages d’art qui pouvaient être gigantesques si on les compare aux moyens techniques en usage au moment de leur construction. Les Romains, par exemple, se rappellent à notre souvenir chez nous par des ouvrages comme le pont du Gard qui faisait enjamber le Gard par un aqueduc de 52 kilomètres conduisant l’eau de la rivière d’Alzon près d’Uzès à la ville romaine de Nîmes. Ce détournement du cours naturel des éléments de la nature est une caractéristique de l’empreinte humaine et de l’avènement du progrès.
Aujourd’hui, une tendance lourde refuse de voir les avantages de ce progrès, et souhaiterait garder la « nature » la plus proche possible de son état d’origine, oubliant que cet état est aussi chez nous celui de la forêt dite primitive sans agriculture et avec ses micro-organismes « naturels », virus et bactéries porteurs de maladies et synonymes d’espérance de vie plus proche de vingt ans que de cent. Cette sacralisation de la « nature » ou plutôt de ce que les bobos nomment nature qui se rapproche plus de la conception de Walt Disney que de la réalité, conduit les politiques, qui ne se distinguent pas généralement par leur courage, à prendre en compte cette vision enfantine du citoyen, ce qui les ramène invariablement à la gestion par la pénurie. Nous en avons d’ailleurs eu récemment deux exemples : d’abord l‘énergie, maintenant l’eau.
Quel sera le prochain ?
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