Le « bouclier tarifaire » créé par le gouvernement ajoute annuellement 480 millions d’euros à la dette publique déjà énorme. Par ailleurs, si celle-ci était effacée, les ressources de l’Etat se trouveraient paradoxalement amputées de presque 30 %

patrick hendry 6CfpUEmNWAU unsplash Lbore gouvernement doit tous les ans résoudre un problème récurrent : on l’appelle le budget. Il consiste à faire correspondre une liste de dépenses prévues, ordinairement classées dans l’ordre des ministères qui les présentent à l’approbation des parlementaires, avec une liste d’impôts et de taxes. Les gouvernements n’ont en effet aucun autre moyen que ces deux instruments de se procurer de l’argent.

Depuis plus de 40 ans néanmoins, devant la difficulté d’équilibrer ses comptes, le gouvernement a fait appel au crédit. Celui-ci est, comme chacun le sait, un moyen de régler les urgences en empruntant provisoirement sur le marché financier pour rembourser dès que possible. Le problème c’est que le provisoire est progressivement devenu définitif, et que la partie des dépenses non couverte par les recettes est finalement devenue monstrueuse.

France-Trésor, le machin magique

Actuellement, une agence spécialisée appelée France-Trésor emprunte à 10 ans pour rembourser les emprunts antérieurs qui arrivent à échéance. L’opération, qui est par ailleurs un classique de l’escroquerie financière, s’appelle la cavalerie bancaire. Elle est punie par la loi si elle est pratiquée par des personnes physiques ou morales. Elle est cependant largement pratiquée par certains gouvernements qui n’arrivent pas à ne pas dépenser plus que ce que les impôts et taxes leur rapportent.

France-Trésor se livre donc à un exercice qu’on appelle « faire rouler la dette », c’est-à-dire que ses agents remboursent le principal[1] de la dette arrivant à échéance avec de l’argent provenant d’une nouvelle dette. L’opération est plutôt rentable si les taux d’intérêt sont négatifs ou nuls. Elle ne l’est pas si ceux-ci (re)deviennent positifs.

Un « bouclier » qui ne protège personne

Devant l’augmentation vertigineuse du prix de l’énergie, le gouvernement français a décidé de payer une partie du prix à la place du consommateur français pour sa consommation d’électricité, de gaz et de carburant. Il appelle cette opération le « bouclier tarifaire », voulant donner par le choix de ce mot l’impression que les Français sont protégés par ce dispositif. Il a annoncé que le coût de l’opération avait déjà été de 24 milliards pour environ 1 an.

24 milliards, ce n’est pas rien. Cela représente 360 euros par Français, pas loin de 1 000 euros par famille. Comme le gouvernement n’a pas un kopek pour payer ça, il doit emprunter, actuellement donc à  environ 2 % sur 10 ans. En conséquence, il doit payer 24 x 2 % = 480 millions par an, soit 4,8 milliards sur 10 ans et rembourser le principal (24 milliards) à l’échéance. Le « bouclier » s’ajoute donc simplement à la dette publique dont le service est payé par le contribuable. Cela revient simplement pour le contribuable à décaler de quelques années le paiement de l’électricité ou du gaz qu’il consomme, en payant  en plus les intérêts. Enfin, pas tout à fait : il paye aussi au passage une partie du prix de l’énergie consommée par d’autres. Et le gouvernement reçoit les remerciements des consommateurs pour sa générosité…

La dette publique : le danger est réel

Ce petit geste de Monsieur Macron aidé de Madame Borne, destiné à éviter la colère de certains consommateurs qui pourraient imiter les gilets jaunes qui leur font si peur, est donc créateur d’un alourdissement de la dette publique de 480 millions d’euros par an. La particularité de cet alourdissement est d’être éternel, c’est-à-dire qu’il ne s’arrêtera jamais dans les conditions financières actuelles. Pour l’arrêter, il faudrait que le gouvernement dispose de 24 milliards d’euros qu’il ne possède pas, et qu’il les rembourse à son créancier. Mais, il est important de noter que cette charge s’ajoute à une multitude d’autres charges éternelles elles aussi, conséquences de dépenses nouvelles engendrées pendant la période dite du « quoi qu’il en coûte », et des dépenses de toutes sortes crées et acceptées par les députés depuis que l’on a décidé de dépenser systématiquement plus que ce que les impôts et taxes rapportaient, c’est-à-dire depuis l’année 1978. Le cumul de ces excès de dépenses sur les recettes représente la bagatelle de 2 902 milliards d’euros à fin mars 2022 soit environ 43 000 euros par Français. Avec un taux d’intérêt de 2 %, ce montant représente une dépense de 58 milliards par an uniquement pour le paiement des intérêts. Mais à cela, s’ajoute ce que de nombreux commentateurs bizarrement négligent (ou ignorent) : le remboursement du principal qui, s’il s’effectue sur 20 ans par exemple, sera d’environ 145 milliards par an.

L’énormité de ces chiffres conduit certains à penser que cette dette ne sera jamais remboursée. La question qui se pose est cependant : quelles seront les conséquences de cette défection ?

Un risque sciemment ignoré

L’extinction de la dette publique, même décrétée et actée soudainement et sans crise, supposition qui demande un optimisme à mon avis démesuré, conduit à un  nouveau problème de taille qui est le suivant :

En cas d’effacement soudain de la dette, (« Monsieur le créancier, je déclare ne plus rien vous devoir à partir d’aujourd’hui ») on peut être sûr que les créanciers floués n’accepteront évidemment pas de recommencer immédiatement à prêter. Si plus personne ne veut prêter, les ressources du gouvernement se trouveront brutalement amputées du montant du « trou » habituel du budget appelé innocemment “déficit à financer“ qui est d’environ 154 milliards pour  l’année 2022.

Sachant que le total des dépenses prévues de la France était pour 2022 de 523 milliards, le problème à résoudre sera : où rogner sur des dépenses de 523 milliards, sachant que les ressources auraient baissé de 154 milliards, soit presque 30 % du total ? Le problème apparait tellement dépourvu de solution qu’on peut être sûr que le gouvernement ne se mettra jamais volontairement dans une telle situation.

Cependant, on peut aussi redouter que la crise finisse bien par éclater un jour ou l’autre, probablement parce qu’une agence de notation rétrogradera sérieusement la note de la France. Ce jour-là,  les taux d’emprunt remonteront brusquement, et le gouvernement risque de n’être plus en mesure de faire fonctionner son administration parce qu’il ne pourra plus assurer le salaire de ses fonctionnaires. Et ceux-ci se trouveront évidemment dans la rue. On regrettera alors que leur nombre soit si élevé…

L’humain est ainsi fait qu’il s’habitue aux risques qui grandissent sans bruit, et il les ignore. Au lieu de nous bassiner en permanence avec des risques hypothétiques climatiques ou maritimes, les médias seraient mieux avisés de nous mettre en garde contre les risques réels et immédiats comme celui décrit plus haut…

Sur le Web : Contrepoints


[1] Le principal, c’est le montant de la somme empruntée, sans les intérêts.

 

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