Voici un extrait d'un ouvrage1 consacré aux plantes en général et aux plantes toxiques en particulier. Il est signé de Georges Becker, Président honoraire de la Société Mycologique de France (écrit en avril 1984).
n grand nombre de plantes, et d'animaux, fabriquent des substances toxiques de diverses natures. Pour les animaux, qu'on songe aux venins des serpents. Ce sont évidemment des moyens de défense d'une efficacité extrême.
Pour les plantes, les poisons qu'elles distillent ont un effet de dissuasion qui permet d'échapper aux divers prédateurs qui voudraient s'en nourrir. Qu'il s'agisse de poils urticants comme ceux des orties, d'épines comme celles des cactus, ou de produits stupéfiants, paralysants, émétiques ou purgatifs, il y a là toute une gamme de répulsifs qui mettent certains végétaux à l'abri de la voracité des herbivores. Nos végétaux cultivés, en revanche, sont sans défense, et seraient incapables de survivre sans notre protection.
Ces plantes toxiques sont innombrables, plus encore sous les tropiques que sous nos latitudes. Néanmoins, nos prés et nos forêts nous en offrent une gamme très variée et dont il faut savoir se méfier. Autrefois, les ruraux, nos grands-pères, ne s'y méprenaient pas. Ils savaient d'instinct ou par tradition qu'il ne faut rien porter d'inconnu à sa bouche. On récoltait depuis toujours les mûres, les framboises, les fraises, les myrtilles, les airelles, et sur les arbres sauvages, à l'occasion, les cornouilles, les alises, les cormes, et les blessons (poires sauvages mangeables quand elles sont blettes, et le mot est dans Littré), et c'était tout. Le reste était de «la poison», comme on dit encore dans nos campagnes, et comme on a dit jusqu'au XVI` siècle. Car poison est le latin potio dont les pharmaciens ont fait «potion». Et nos ancêtres avaient bien raison de n'avoir pas confiance. Car une expérience sans doute antique leur avait appris que toutes ces jolies baies dont se parent les buissons en automne ne disent rien qui vaille à un oeil averti. Il en va de même pour beaucoup de simples herbes dont la confusion avec celles de nos jardins peut être dangereuse. Voyez qu'on ne récolte guère dans la nature que les pissenlits, la mâche et le cresson. Tout le reste est laissé aux bêtes qui veulent bien le brouter.
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Aconit |
Il en va de même pour beaucoup de simples herbes dont la confusion avec celles de nos jardins peut être dangereuse. Voyez qu'on ne récolte guère dans la nature que les pissenlits, la mâche et le cresson. Tout le reste est laissé aux bêtes qui veulent bien le brouter.
Les bêtes d'ailleurs sont moins bêtes que nous. Un instinct sûr les empêche dans les prairies de toucher aux feuilles des colchiques, de l'aconit, des renoncules, des anémones, de l'if, du troène, ou même du chêne qui les rendraient malades. Les animaux ont sans doute un odorat qui leur permet de flairer immédiatement ce qui se mange et ce qui ne se mange pas.Les citadins d'aujourd'hui, ayant perdu tout contact avec la nature, quand ils y sont lâchés, sont capables des pires erreurs. Ils croient naïvement que tout ce qui est «naturel» est par définition excellent, et les voilà qui mordent dans une baie de belladone, ou qui font, comme il est arrivé, de la salade avec des feuilles d'aconit. Et évidemment ce sont les enfants les plus exposés. Ils ont la tentation de goûter à tout, et leur curiosité peut avoir des conséquences dramatiques, ou même tragiques. Tous les ans on amène dans les hôpitaux des victimes d'empoisonnements de cette nature, que la moindre prudence ou la moindre connaissance botanique, aurait pu éviter.
Le plus curieux est que beaucoup de ces poisons ont des effets très différents selon les animaux qui les consomment. Ainsi les glands sont un poison pour l'homme, les boeufs, les ruminants en général, à cause de l'énorme quantité de tanins et de substances annexes dont ils sont gorgés. Mais les porcs et les sangliers en raffolent et peuvent s'en gorger sans aucun dommage. L'amanite phalloïde, mortelle pour l'homme et les animaux à sang chaud, ne produit aucun effet sur les limaces qui les dévorent impunément.
De même, les oiseaux peuvent se nourrir tout naturellement de baies qui sont toxiques pour nous. Ils sont friands de celles du troène, de l'épine-vinette, de la viorne, du bois-joli, du sureau, de la douce-amère, et de la belladone, qui nous provoquent des accidents qui vont de l'indigestion massive à la mort sans phrases. De même les abeilles peuvent très bien butiner le nectar du laurier rose, ou de la digitale, ou ailleurs de divers rhododendrons, sans y trouver d'inconvénients, mais qui rendent leur miel sévèrement toxique, pour l'homme au moins».
Peut-être que le concept de « naturel » est lui-même tout ce qui a de plus artificiel. Seul un orgueil démesuré qui se cache soigneusement sous des habits verts au point que celui qui les porte n'en a même pas conscience, pousse certains de nos semblables à « retourner à la nature ».